- Les services rendus par le bocage profitent à l’ensemble de la société, mais les agriculteurs sont trop seuls et peu aidés pour en assurer l’entretien.
- Les réglementations liées à la haie sont très complexes et hors-sol.
- L’agrandissement des fermes et des machines nuit au bocage.
- Cette tendance va s’aggraver avec les nombreux départs en retraites et le recul de l’élevage bovin à l’herbe.
« Si demain il faut restaurer du bocage, merci d’aller le faire ailleurs. Nous, on sature », a lancé un responsable de la FDSEA du Centre Bretagne à l’occasion du vaste mouvement social agricole qui a secoué le pays en janvier-février dernier. La phrase, relayée dans la presse régionale, a le mérite d’être claire, et elle donne le ton d’un sentiment largement partagé dans la profession : les haies sont une gêne plus qu’une aubaine. Prendre soin de ce patrimoine, dont l’ensemble de la société profite, ce n’est pas simple. Cela prend du temps et c’est parfois rude, a fortiori dans des exploitations où la main-d’œuvre se fait rare. « La haie rend des services à la collectivité et, pour autant, les agriculteurs sont les seuls à en supporter le coût de gestion », précise un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER).
« La haie, ça gêne le maniement des machines agricoles, explique Gilles Ravard, longtemps agriculteur en Loire-Atlantique. Si on s’accroche dans une branche, on perd du temps, et donc du pognon. Ça va pas. Le soc des charrues peut aussi se prendre dans les racines… » Autres reproches formulés à l’encontre des haies : elles attirent le gibier et les oiseaux, qui détruisent les récoltes, et elles font de l’ombre aux cultures.
Quand elles marquent les limites entre deux parcelles, les haies deviennent des obstacles pour le travail des champs si une ferme s’agrandit. Or, c’est bien cette tendance que l’on observe en Bretagne : en dix ans, les exploitations ont grossi de 14 hectares en moyenne [Lire notre enquête « À l’ombre des Safer, la guerre des champs »]. Le nombre d’agriculteurs, lui, ne fait que diminuer. « Le matos est grand, les gars sont tout seuls, ils n’ont pas le temps », résume Thierry Guéhenneuc, animateur et sylviculteur au sein de l’association Terres et bocages, qui réunit des agriculteurs planteurs de haies. « Ils ne coupent pas forcément les haies, ils savent bien que c’est interdit, mais ils font le tour et, à force, la haie disparaît. Elle est abîmée par le matos, poursuit Thierry Guéhenneuc. Un agriculteur ne peut plus tout faire. Ce sont les CUMA (coopératives d’utilisation du matériel agricole) et de plus en plus les ETA (entreprises de travaux agricoles) qui font le boulot. » Pour ces entreprises dont les interventions sont payées à l’heure, pas question de perdre du temps en faisant le tour des haies. « Les parcelles sont trop petites par rapport au matériel », évoquent les chambres d’agriculture de Bretagne, désignant également « le manque de main-d’œuvre disponible ».
L'entretien, une tâche difficile
« La première année sur ma ferme, j’ai fait venir un entrepreneur pour épandre du fumier, mais en fait, il n’a pu rentrer que dans un champ parce que les chemins d’accès sont trop étroits, avec trop de virages, et trop d’arbres », rapporte Clémence, éleveuse dans le Kreiz Breizh, le Centre-Bretagne. « Certains collègues maraîchers n’aiment pas les arbres, reprend Gilles Ravard. Ils disent que ça apporte des saloperies dans leurs cultures. Les feuilles de chêne qui tombent sur la mâche par exemple peuvent donner le phoma (un champignon, NDLR). Ça entraîne aussi des problèmes au moment de la récolte, car les cultures sont « sales » s’il y a des feuilles au milieu. » Les entreprises agro-alimentaires refusent bien souvent d’acheter ce genre de récoltes. Un problème qui existe moins en circuit court et vente directe.
Si nombre d’agriculteurs pestent contre les haies, c’est aussi parce que leur entretien est difficile et peu rémunérateur. Quand vient la saison de la taille, il fait froid, parfois humide. Le boulot peut être dangereux, car il faut manier des outils tranchants, à plusieurs mètres de hauteur, dans des élévateurs « maison », potentiellement accidentogènes. « L’entretien des haies, quand il y avait du bocage, c’était 90 % du temps « mort » des paysans en hiver, explique Philippe Merot, ancien chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). La dangerosité était importante. L’élagage – qui permettait d’avoir du « bois de chauffage » – était une des causes principales des accidents dans les fermes. » Avec le remembrement, l’arrivée du gaz pour cuisiner et du chauffage électrique, le temps passé aux haies a largement diminué. Mais la baisse continue du nombre d’agriculteurs a fait remonter, ces vingt dernières années, le nombre de kilomètres de haies dont chacun doit s’occuper. Entre 1996 et 2008, le linéaire bocager moyen d’une exploitation agricole est passé de 3,2 à 4,9 km, soit une augmentation de 50 %.
Un coût non négligeable
« Pour entretenir nos huit kilomètres de haies, il faut compter quinze jours de travail tous les hivers », illustre Sylvie, éleveuse de vaches laitières en Ille-et-Vilaine, tout juste à la retraite. Rares sont les agriculteurs qui entretiennent la totalité de leurs haies à la tronçonneuse, qui permet de faire des coupes franches et « propres » mais qui prend beaucoup de temps, et exige un savoir-faire souvent perdu. Beaucoup font appel à des entreprises de travaux agricoles (ETA) qui viennent avec leurs lamiers, et laissent des arbres aux branches éclatées, plus fragiles face aux attaques de maladies et champignons. « C’est sûr, ça ne fait pas une belle coupe, mais ça permet de couper quand même et cela garnit le centre de la haie », constate Sylvie, toujours étonnée par la vigueur des arbres qui repartent, malgré tout.
L’agricultrice n’a jamais compté ce que coûtait l’entretien de ses haies. « Ça fait partie du boulot, c’est tout », estime-t-elle. Mais il est évident que ces tâches pèsent sur les finances des exploitations. « S’il faut faire le choix entre plusieurs chantiers, ce n’est pas celui-là que tu fais en premier, parce que ce n’est pas le plus rentable, précise l’agricultrice. Même si tu récupères le bois pour te chauffer. » Selon le rapport du CGAAER, l’entretien régulier d’une haie coûterait en moyenne 450 euros par kilomètre et par an. Soit 3.500 € par an pour une ferme comme celle de Sylvie qui compte huit kilomètres de haies. Une somme modeste pour une ferme qui tourne, mais difficile à sortir pour celles qui tirent déjà le diable par la queue (et elles sont nombreuses).
Dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) 2023-2027, la France a décidé de mettre en place un « bonus haie » de… 7 € par hectare et par agriculteur. Mais il faut justifier d’au moins 6 % de haies sur son exploitation et être engagé dans un plan de gestion durable de haies certifié (PGDH), de type label Haies. Pour un agriculteur, élaborer ledit plan coûte entre 1.500 et 2.000 €, auxquels s’ajoutent 350 € annuels de cotisation pour le label. Il faut donc être très motivé pour se lancer. « Le montant actuel de 7 € /ha déconsidère la valeur du travail des agriculteurs qui gèrent durablement leurs haies », affirmait l’association de promotion des haies, l’Afac-Agroforesteries, en janvier 2023. Elle demande sa revalorisation à 25 €/ha.
Autres aides proposées : les mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) qui s’élèvent à 800 €/ha de haie. Pour y prétendre, il faut établir un PGDH, mais également suivre une formation. Ni l’une ni l’autre de ces exigences ne sont financées dans le cadre des Maec.
Le casse-tête des démarches administratives
Il y a enfin les aides à l’hectare, qui incluent les surfaces de haies depuis 2015, mais dont la logique n’est pas facile à saisir puisque tout en étant des « surfaces admissibles aux aides surfaciques », les haies font partie des « surfaces non-agricoles (SNA) » ! Pour y avoir droit, les agriculteurs doivent convertir leurs linéaires d’arbres en « surfaces d’intérêt écologique (SIE). « Les arbres isolés, ça fait tant de m² de SIE, décrivait en 2015 Serge, paysan installé en polyculture-élevage, interviewé par la chercheuse Blandine Mesnel. Comment vous voulez qu’on compte ça ? Les m² de SIE, pour des arbres ? Moi j’en ai plein des arbres, partout. Et des haies partout. Je ne sais pas comment on va faire. »
La charge mentale et réglementaire qui entoure les haies ne s’arrête pas à la PAC. Les agriculteurs et agricultrices doivent aussi composer avec les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), hérités du Grenelle de l’environnement et qui ont entre-temps été intégrés aux schémas régionaux d’aménagement, de développement et d’égalité des territoires (SRADDET). Il y a également les PLU et les PLUI, négociés au niveau des communes ou des communautés de communes et via lesquels certaines haies sont classées. Sans oublier le Code de l’environnement qui protège non pas la haie en tant que telle mais l’habitat d’espèces d’oiseaux protégés. « T’as vu la directive habitat ? Faut la lire, hein ! J’ai pas fait fac de droit, moi…! », glisse Benoît Alain, éleveur à Ploubezre, dans les Côtes-d’Armor.
Cet empilement de règles et de paperasse est d’autant plus complexe que, dans la réalité, celles et ceux qui ne les respectent pas ne risquent pas grand-chose [lire notre article « Champs libre aux destructions »]. Mais nombre d’entre eux se sentent sous surveillance permanente et sous pression. Ce qui ne facilite pas les interventions des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), rares en ce qui concerne les haies.
« Tout cela nourrit l’opposition entre agriculture et écologie. C’est contre-productif. On ne peut pas avoir d’un côté l’agriculture qui assure la production alimentaire et de l’autre une politique environnementale qui met en place des aménagements compensatoires. »
Simplifier le mille-feuille administratif qui entoure les haies, c’est une des revendications portées par le mouvement social qui a secoué le pays cet hiver et par des associations de promotion de la haie, comme l’Afac. Pour l’heure, les annonces du gouvernement restent floues, promettant de réduire les normes. Et les associations de protection de la nature craignent que « simplification » ne rime avec « facilitation des destructions ».
« Une politique d’incitation au bocage en tant que telle a peu de chance d’aboutir », reprend la sociologue Catherine Darrot qui a mené une étude sur Breizh Bocage 1 et Breizh Bocage 2, des programmes de sauvegarde du bocage impulsés par la Région Bretagne. « C’est à la source qu’il faut agir, au niveau de la PAC et de la politique agricole régionale : quel modèle agricole on soutient, à qui donne-t-on accès au foncier ? » Les recherches que la sociologue a menées avec Marie Toussaint montrent que « l’avenir du bocage semble étroitement subordonné à l’avenir des systèmes d’élevage pâturant, souvent labellisés en agriculture biologique ». Or, on observe une céréalisation croissante des terres agricoles bretonnes avec une chute du nombre d’éleveurs [Lire notre enquête « À l’ombre des Safer, la guerre des champs »].
« La volonté politique, c’est de garder le plus d’élevages possible, assure Carole Le Béchec, en charge du plan arbre à la Région. Mais on a un vrai problème d’attractivité du métier. C’est un gros souci. On essaie de mettre des choses en place dans les lycées, mais on n’a pas la main sur les programmes », ajoute l’élue. Ceux-ci sont élaborés par le ministère de l’Agriculture. Et de ce côté-là, l’espoir semble ténu… « La pratique majoritaire reste la pratique intensive et il n’y a pas de réelle volonté du ministère de changer cela, constate Dominique Blivet, enseignant en lycée agricole, et représentant syndical Sud Rural Territoires. Il n’y a pas de réelle volonté de transition. »
Certains enseignants mènent des programmes très volontaires autour des avantages des haies, face au réchauffement climatique, aux intempéries, aux inondations et à la désertion des campagnes. Mais leurs mots ne valent pas grand-chose face au réel : « J’ai un temps enseigné en maison familiale rurale, où se forme une partie des agriculteurs, situe Gilles Ravard, lui-même agriculteur. Je parlais des haies, et on replantait sur certaines exploitations. Mais quand les jeunes rentraient chez eux, les parents leur disaient : mais qu’est ce qu’on t’a raconté ? C’est n’importe quoi. »
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